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rp:csame20140113

Martha

Oggodt serra une nouvelle fois les lanières qui attachaient fermement En'doll à son lit de fortune. Ce dernier n'avait déjà presque plus un seul cheveux sur le caillou. Une goule, bordel de merde. Une fucking goule. La raison aurait certainement exigé de lui planter son couteau au niveau de l'abdomen et de le remuer de bas en haut jusqu'à ce que l'ork — pardon la goule — exhale son dernier souffle. Ç'aurait sans doute été le conseil de Splenters. C'est sans doute ce à quoi il aurait été condamné si on l'avait abandonné à l'hôpital. L'abandon.


Martha :

L'abandon. Tel père, tel fils. Martha se leva péniblement du fauteuil ou elle était affalée depuis si longtemps que son corps y avait laissé une marque visible. Où ce bâtard de Jed avait-il bien pu foutre ces bouteilles ? Ces jeunes et leurs street names imbéciles… 'paraît que Frank s'en était trouvé un, aussi : « Oggodt » ! En décapsulant d'une main experte sa bouteille de bière, elle eut un bref rire : quel pseudonyme ridicule ! Où pouvait être ce morveux ? Ce bon à rien n'avait décidément pas reçu assez d'autorité paternelle ! Une bonne correction, voilà ce qu'il lui faudrait ! Elle avala une longue gorgée de bière insipide, qui affichait négligemment un bon 10 degrés d'alcool.

Selon Jed, Frank était quelque part pas loin de la frontière franco-allemande. Ce que son fils foutait là, la trollesse n'en avait aucune idée. Frank n'avait guère l'habitude de lui raconter quoi que ce soit. Mais elle se doutait bien, que comme son père avant lui, il « courrait les Ombres ». Il la croyait probablement trop saoule pour s'en apercevoir, mais il aurait été difficile de ne pas le remarquer quand Frank rentrait blessé. La croyait-il aveugle au point de ne pas l'avoir un jour vu rentrer avec une peau d'une autre couleur que la veille ? Mais au moins, cette fois, il était rentré. Pas comme son père.

Elle s'était toujours refusé de raconter à Frank ce qui était arrivé à son géniteur — le terme « père » était trop flatteur.

Elle était jeune, alors. Et, selon les standards trolls, jolie — croyez-le ou non. Elle devait alors peser deux ou trois quintaux en moins. Elle était enceinte, mais lui l'ignorait. Elle se souvenait très bien de cette soirée. Ils étaient ici même, dans le salon de cet appartement qui était, déjà à l'époque, bien pourri. Joachim et elle. Vêtu d'un marcel et d'un pantalon élimé, Joachim bricolait un drone, un tournevis à la main, maculé de cambouis. Contrairement à son fils qui était musculeux et sportif, toujours prompt à la bagarre et à l'action, Joachim était un rigger. Malgré sa nature de troll, il était plutôt mince, voire maigre. Quand elle arriva dans la pièce, il masqua rapidement, d'une bâche noire, la mitrailleuse lourde qui n'était pas encore fixée sur le drone, et prit un air innocent, au grand agacement de Martha. Elle avait l'intention de lui annoncer qu'elle était enceinte. mais Joachim la devança :

« T'inquiètes, chérie, ce sera du gâteau, piece of cake. Tu peux me passer la boîte à outils ? »

Martha lui tendit la boîte.

« Normalement, poursuivit Joachim en retirant un composant électronique du drone, le plan devrait se dérouler sans problème. Je pars à Hambourg ce soir, et si tout va bien, je serai de retour demain matin.

— Et si tout ne se passe pas bien ? fit Martha d'un ton de reproche.

— Je suis un rigger chérie, c'est mes machines qui prennent les risques, pas moi. Et puis c'est der Nachtmachen, des crypto-anarchistes à la con, ça devrait pas…

— Tu sais bien que je ne veux savoir ce que tu fais avec tes soi-disant potes, Joachim, l'interrompit Martha d'un ton sec.

— Chérie, si ce coup fonctionne, on pourra enfin se casser de cet appart pourri et se trouver un chouette endroit pour vivre, rien que toi et moi !

— Justement, je voulais te parler d'un truc important.

— Quoi ? fit-il avec un soupçon d'inquiétude dans la voix.

— Eh bien… »

C'est à ce moment là qu'ils furent interrompus par le bourdonnement du commlink de Joachim. Martha eut du mal à dissimuler son agacement pendant que son homme était en communication.

« 'faut que j'y aille chérie, fit-il en enfilant une veste en cuir par dessus son marcel plein de cambouis. Tu me raconteras ça demain matin, je suis à la bourre. »

Il lui claqua sur la bouche un bisou, puis au nez, la porte. Elle se souvenait encore du bruit que firent ses pas rapides dans l'escalier.

« Je suis à la bourre » furent les derniers mots qu'elle l'entendit prononcer. Elle ne devait jamais le revoir. Était-il mort ? Prisonnier ? Elle ne le sut jamais.

Bien entendu, elle tenta de se renseigner auprès de ses compagnons runners mais trois d'entre eux avaient également disparus. Le seul qui restait accepta de lui parler cinq minutes. C'était un jeune nain, l'air terrorisé, enveloppé dans un grand manteau comme pour mieux dissimuler son identité. Il lui en apprit un peu plus sur la mission, qui n'était ni plus ni moins qu'une mission d'assassinat, celui de Gunther Steadman, le patron de der Nachtmachen. La mission avait réussi, mais pas sans perte puisque leur mage s'était fait descendre. Joachim, pour autant que le nain savait, avait été fait prisonnier par des hommes masqués. Il n'aurait su dire s'ils appartenaient à Nachtmachen ou à une autre organisation. Il ignorait ce qu'il était advenu de lui.

Des jours durant, Martha vécut dans l'attente d'un quelconque signe de vie de son compagnon, mais rien ne vint. La presse se fit l'écho de l'assassinat de Steadman et de liens supposés avec une autre organisation : les Revenants. Elle souleva ciel et terre, mais elle ne pouvait pas s'adresser aux autorités puisque la personne disparue étaient le coauteur d'un meurtre, ni à ses anciens compagnons de run puisque ceux-ci étaient soit morts, soit volatilisés. De guerre lasse, Martha finit par abandonner, par se persuader que Joachim l'avait abandonnée, elle, et l'enfant. Elle commença à boire, en excès, en espérant à moitié que l'alcool tuerait l'enfant qu'elle portait en elle. Mais même les fœtus de troll ont une constitution à toute épreuve, manifestement. Elle accoucha chez elle accompagnée par un doc des rues, et nomma l'enfant Frank.

Quand son alcoolisme se calmait légèrement, il était remplacé par des crises de boulimie ou de grave dépression. Frank s'éleva seul pour ainsi dire, ou, plutôt, fut élevé par la rue. Martha connut d'autres hommes, de moins en moins à mesure que son était s'aggravait et qu'elle prenait du poids, mais elle n'entendit plus parler du père de son fils. Quand ce dernier fut en âge de comprendre, elle ne put se résoudre à lui dire la vérité. Ç'aurait été admettre à un gamin déjà suffisamment éprouvé que son père était un vulgaire tueur à gage, qui masquait cette appellation sous celle, plus reluisante, de shadowrunner. Elle ne se souvenait plus très bien de ce qu'elle avait dit à Frank au sujet de son père, mais ça avait dû suffire car il n'avait plus posé de question.

Frank avait grandi vite, très vite. Il était devenu grand et fort, il avait pris le nom d'Oggodt. À treize ans à peine, il brisa trois côtes de l'un des amants de sa mère, un troll qui avait vingt ans et un bon mètre en plus que lui et qui avait commis l'imprudence de lever la main sur la trollesse. À défaut d'autorité paternelle et parce que Martha aurait été bien en peine de l'y obliger, il fréquenta l'école juste assez pour apprendre à lire et à écrire, puis fut happé par la rue, où l'on mit sa carrure imposante à profit pour divers boulot de gardien ou de sorteur de discothèque. Mais elle savait bien qu'il ne se contenterait pas de cela : après la rue, vinrent les Ombres.

Les Ombres s'emparent de vous. Elles ne vous lâchent plus. Elles vous prennent tout.

Martha était seule. Elle était trop lasse pour transporter sa graisse jusqu'à la toilette et s'urina dessus. Elle s'abandonna à l'alcool.


Oggodt :

Il n'avait pas pu se résoudre à abandonner Eidolon à son triste sort, il n'était pas question qu'Oggodt réserve un autre sort à End'oll. La goule dormait d'un sommeil agité, transpirant à grosse gouttes, pâle comme la mort. Oggodt serra les dents et épongea le front transpirant d'End'oll d'une serviette à peu près propre. Il n'était pas question que qui que ce soit lui fasse du mal. Il ignorait ce qu'il se passerait à son réveil, on verra bien.

rp/csame20140113.txt · Dernière modification : 2015/02/27 06:24 de Csame