Printemps 2068, dans les environs de Munich.
Le van s'engouffra dans la petite voie de graviers destinée aux aides de maison et vint se garer dans un crissement de pneus à quelques mètres de l'entrée de service. Les portes battantes s'ouvrirent et deux silhouettes émergèrent de l'arrière du véhicule. La première était en réalité un beau jeune homme brun, au nez fin, vêtu d'une combinaison noire et une paire de lunettes infrarouges sur le front. A sa ceinture se trouvait un Arès LightFire 70™ sur lequel avait été vissé un silencieux. La seconde forme était une femme d'apparence assez âgée, aux cheveux grisonnants lui tombant sur les épaules, portant une robe mélangeant rouge, jaune et violet et d'épaisses lunettes, qui agitait nerveusement un colifichet entre ses mains.
La fenêtre côté conducteur du van s'abaissa doucement. Derrière la vitre teintée apparut un ork à la peau grise, d'une vingtaine d'années, cigarette à la main et veste paramilitaire sur les épaules.
« Si les infos du Johnson sont bonnes, on a 15 minutes pour récupérer le butin et mettre les voiles. Je lance la surveillance aérienne. Go. »
Surgit des ombres de l'arrière de la camionnette un drone volant Ford LEBD-1™, qui prit rapidement de l'altitude avant de survoler le domaine. Le robot se mit à diffuser sur l'affichage RA du pilote les informations issues de ses senseurs ainsi qu'une vue aérienne de la villa sur un large spectre de fréquences. Vue du ciel, la résidence était un grand bloc carré, au milieu d'un vaste terrain vert.
A la suite du drone sortit un nain mal rasé, la vingtaine, en costume de ville, gants RA et commlink à la main. Puis émergea un ork musculeux, en armure de combat, Colt Cobra™ en bandoulière et matraque télescopique à la ceinture. Le jeune humain se retourna vers le nain au commlink : « Des soucis côté matrice ? »
« Rien à signaler, les codes récupérés par la femme de chambre sont nickels. J'ai une backdoor qui nous assure le contrôle des caméras et pour ce que j'ai pu compter, ils ont quatre drones HomeProtect Deluxe™de sécurité de chez Aztechnology qui patrouillent, mais ils devraient ne pas opposer une grande résistance. Tout est clean », conclut le technicien, un air satisfait sur le visage.
« Rosetta ? », lança le jeune homme, interrogatif, en se tournant vers la femme âgée.
« Gaïa nous sourit », répondit-elle, un léger sourire révélant une dentition peu soignée. « J'ai érigé une barrière autour de leur gardien, il est pris au piège pour toute la nuit. »
« Parfait », approuva l'homme, tout en armant son LightFire. « Tony », lança-t-il en direction du pilote, « couvre la zone avec le drone et prépare-toi à repartir. » Il tourna son regard vers l'ork en armure de combat. « Tarak, tu es notre force d'assaut en cas de grabuge à l'intérieur. Le Johnson a promis qu'il n'y aurait que quelques gardes privés mais on sait jamais. » Finalement, l'homme posa ses yeux vers la shamane et le hacker. « Vous deux, avec Tarak et moi. Vous savez ce que vous avez à faire », finit-il.
« Bru », commença Tarak en regardant sonchef d'équipe, « tu es sûr que la carte de la femme de ménage va nous amener jusqu'au coffre ? », interrogea-t-il. Le jeune homme fronça les sourcils. « Vu les trésors d'inventivité que j'ai dû déployer pour mettre le main dessus, il y a intérêt. Mais d'après le Johnson, ça devrait passer. » Le chef d'équipe se dirigea à pas feutrés vers la porte de service, et ouvrit le maglock à l'aide d'une carte magnétique. « Jusqu'ici, les infos sont bonnes. Tenez-vous prêts ».
Les quatre individus pénétrèrent à l'intérieur de la demeure. Malgré l'obscurité ambiante, ils se déplaçaient sans aucune difficulté dans le secteur réservé au personnel. Après avoir traversé une pièce de stockage débordant de matériel de sport, puis les cuisines, le groupe de runners surgit dans un vaste salon, au décor datant du début du siècle. La sobriété y était de mise, les murs y étaient peints en blanc et le mobilier était quasiment intégralement en métal, à l'exception de canapés de cuir gris taupe et d'un tapis de la même couleur. Quelques œuvres d'art typiques de la fin du XXème siècle étaient accrochées au mur, ainsi qu'une sculpture d'aluminium à l'air torturé qui trônait près d'un gigantesque écran tridéo.
Tarak fit un signe de la main, avant de subvoquer : « Le Johnson a dit qu'il gardait son flingue dans le bureau, côté ouest. Je dirais qu'il faut qu'on passe ce couloir », finit-il en désignant du menton l'autre bout de la pièce. Bru acquiesça et s'avança de quelques pas en direction du corridor avant d'être interrompu par le vrombissement d'un drone. L'atténuation thermique de sa combinaison l'avait probablement sauvé, tandis qu'il reculait doucement vers la pièce centrale. Soudainement, l’œil mécanique du drone s'éteint, avant de clignoter puis de se rallumer quelques secondes plus tard. « C'est bon », lança le nain dans son micro. « J'ai été forcé de le rebooter, mais je nous ai ajouté dans son SafeTarget, je t'avais dit que c'était de la daube. » La petite bande s'engagea rapidement dans le couloir, tandis que le drone poursuivait sa patrouille, sans leur prêter d'attention. Le corridor bifurquait à angle droit. « Stop, un garde s'approche de l'autre côté, je le vois sur la caméra Est-02 », chuchota le technicien dans son micro subvocal.
Tarak s'avança, passant sa tête par-delà l'angle. « Je confirme, humain, Hammerli 620S™ et matraque. Doux ou brutal ? »
« Doux, pas envie de laisser un bain de sang derrière moi », répondit Bru.
« Ça roule », répliqua l'ork. La main sur sa matraque, il s'avança dans le couloir avant d'émettre un léger sifflement. Quelques bruits de coups étouffés plus tard, Tarak traînait le corps inanimé d'un Securitas à côté d'eux. « Il a pas grand chose sur lui, mis à part un micro oreillette et un commlink. Tu peux en faire quelque chose ? », lança-t-il en regardant le nain.
« Ouais, je pense. Fais voir le commlink. C'est ce que je pensais », ajouta le runner en examinant l'appareil. « Je peux déclencher une alarme dans l'aile ouest si tu veux qu'on les éloigne, Bru. »
Leur meneur réfléchit quelques instants. « Garde ça pour plus tard, pas besoin de les inquiéter outre mesure. Laisse-le corps là, Tarak, on sera bientôt reparti. Le bureau devrait être juste ici. »
Discrètement, ils entrèrent dans une petite pièce feutrée grâce au passe de Bru.
La voix de leur conducteur vint rompre le silence. « Les gars, il se passe un truc. Je viens de capter un appel encrypté de l'intérieur de la villa vers le bureau de Securitas. Vous en êtes où ?
- Dans le bureau, on cherche le coffre, Tony. »
Bru se tourna vers le hacker. « Tu peux tracer la source ?
- Je vais essayer. Tony, tu as pu repérer de quel coin ça venait ?
- Je dirais que ça vient de votre aile. »
Le nain parcouru la pièce des yeux. Un terminal d'accès était encastré dans le bureau. « Il y a un terminal, je devrais avoir accès au système central et à leur nexus. »
Bru se tourna vers les deux autres. « Rosetta, tu fouilles la pièce avec moi. Tarak, prépare les explosifs, on aura peut-être besoin de le décrocher du mur. » Les runners hochèrent la tête en signe d'approbation.
Le nain brancha son datajack dans le terminal du bureau, avant de se plonger en réalité virtuelle. Le noeud était conçu de façon classique, l'environnement virtuel ressemblait assez fortement à celui de la maison, les hôtes ne devaient pas être particulièrement adepte de la RV. Il contourna avec soin les deux chiens de garde qui modélisaient les CI de protection avant d'accéder au système d'authentification, représenté par une rangée de paire de chaussons appartenant aux utilisateurs légitimes. Rapidement, il se forgea une identité de superviseur avant de scanner les noeuds domotiques.
« Rien de mon côté Tony, tu es sûr que ça vient de la maison ?
- Affirmatif. Ils ont fait vite, j'ai repéré un Rover 2068™ blindé de Securitas en approche à moins de trois kilomètres, il faut qu'on se bouge.»
« J'ai le coffre », s'exclama Bru alors qu'il vidait une étagère des ses vieux livres. « Pas besoin du C4 Tarak, il n'est pas encastré dans le mur. Rosetta, ralentis les Securitas. On y va. »
Tandis que la shamane s'effondrait alors que son esprit transionnait vers le monde astral, l'ork la prit sur son épaule comme s'il s'agissait d'un sac de farine de soja. « Petit, on y va », subvoca l'ork au hacker, toujours en RV. Le nain parcourait les fichiers du propriétaire des lieux. Son attention avait été attirée par un cahier noir aux reliures dorées, un livre de comptabilité dans lequel il avait trouvé plusieurs versements récents vers des comptes matriciels offshore. Il allait en faire une copie avant que Tarak l'appelle. D'une élégante pirouette, il se mit hors de portée d'un des molosses qui s'était approché, suspicieux, puis se déconnecta. « On sort ? », demanda-t-il. Tarak opina du chef, tandis que Bru engouffrait le petit coffre fort dans un sac à dos.
Alors qu'ils revenaient sur leurs pas et entraient à nouveau dans le salon, une lumière vint brusquement s'allumer derrière eux. « Securitas ! Pas un geste », beugla une voix. « J'ai trois individus suspects dans le salon ouest, demande de renforts immédiat », poursuivit-elle. « A trois, on se splitte et je le dégomme », subvoqua Tarak, stoïque. Le hacker déglutit, les mains moites, tandis que Bru acquiesçait. « Un… Deux… TROIS ! », s'exclama l'ork, avant de pivoter sur lui-même. L'humain et le nain se jetèrent sur le côté, tandis que Tarak, vif comme l'éclair, avait déjà la main sur son Cobra et ouvrait le feu sur le malheureux Securitas. Les flashs jaunes du canon de l'arme vinrent illuminer les gerbes de sang rouge vif qui s'échappaient du corps du garde à mesure que les balles pénétraient sa combinaison de sécurité. En quelques instants, l'homme gisait à terre dans une flaque rouge sombre, sa Maglite toujours allumée à côté de sa tête.
Alors que le hacker se relevait et tâtonnait pour mettre la main sur son Arès Predator™ à l'intérieur de sa veste, un drone de sécurité s'arrêta à l'entrée du salon et commença à allumer Tarak de sa mitrailleuse embarquée. L'ork plongea derrière une canapé en cuir pour y trouver un couvert de fortune. « Fais quelque chose ! », hurla Bru au technicien.
Dehors, le camion blindé de Securitas vint freiner brusquement, faisant crisser ses quatre pneus alors qu'un mur de terre de 4m de hauteur venait de s'élever au travers de la route. « Merci Rosetta », pensa Tony, toujours au volant de son van. La shamane faisait de son mieux pour ralentir les hommes de main de la boîte de sécurité et la route se craquelait sous leurs roues.
Tandis que Bru tirait le hacker derrière le couvert d'une commode, le nain était en RV et venait de pulvériser le firewall du drone Aztchenology. Rapidement, il dirigea le robot vers le corridor nord, par lequel deux autres Securitas entamaient leur approche. Sans se poser de questions, il fit feu en utilisant la mitrailleuse montée sur le robot. Trois noeuds de PAN s'approchaient également en prenant le couloir par lequel ils venaient d'entrer. A vue de nez, probablement trois gardes supplémentaires. Reprenant possession de son corps, il se retrouvait face à Bru, qui regardait par-dessus leur couvert de fortune le regard anxieux, son arme à la main. Tarak regardait le chef d'équipe d'un air interrogatif. « Tony, t'en es où ? », demanda-t-il.
« Ça commence à être tendu. Rosetta a réussi à retenir les Securitas mais il faut vraiment qu'on se tire en vitesse avant qu'ils ramènent plus de matos.
- Bien reçu Tony, ne bouge pas, on arrive. »
Tarak entreprit de soulever le corps de la magicienne sur son épaule, avant d'être interrompu par Bru qui s'était glissé à côté de lui. L'ork eut à peine le temps d'exprimer son étonnement qu'un léger flash surgit du silencieux vissé au bout de l'arme de son chef d'équipe. Une tâche de sang vint s'épandre sur le carrelage blanc immaculé du salon, alors que le corps inanimé de Rosetta glissait le long du canapé, un trou entre les deux yeux. Tandis que Tarak réalisait ce qui venait de se dérouler sous ses yeux, le taser d'un Securitas vint l'atteindre en pleine poitrine. Bru fit un petit bond leste pour passer de l'autre côté du canapé, et s'approcha des hommes de la sécurité. « Je travaille pour votre patron, j'imagine que vous avez été briefé. » Les deux gardes hochèrent la tête. « Vous pouvez récupérer ces deux-là. Il y en a un troisième dans un van dehors. Excusez-moi, mais j'ai à faire maintenant », conclut-il avant de s'éloigner dans l'ombre, son sac sur le dos. Le nain était pétrifié derrière sa commode, la main sur son pistolet. Tarak, à terre, haletait comme un boeuf. « Il faut qu'on se tire », subvoqua-t-il péniblement. « Prends celui de gauche, je fume celui de droite. A trois ! »
Le hacker entreprit de visualiser le mouvement et la position de sa cible. Les deux gardes s'approchaient lentement de leur position. Soudain, la voix de l'ork résonna dans ses oreilles. « FEU ! » Le nain surgit de sa cachette et tira en direction des deux gardes, tandis que Tarak, toujours par terre, s'était allongé sur le dos et arrosait l'espace de sa mitrailleuse. Pendant un moment, le temps semblait filer au ralenti, les balles venant s'écraser contre les murs, les Securitas tentant désespérément de trouver de quoi se cacher avant que les morceaux de plomb ne viennent les faucher dans leur course. Le souffle court, le hacker et l'ork se regardèrent, tandis que leurs ennemis gisaient dans le sang et les douilles. Le nain finit par reprendre ses esprits. « Il y en a d'autres qui arrivent Tarak, faut qu'on se tire de là ! » cria-t-il. L'ork se redressa d'un geste. « Tony, gare toi le long du mur sud. On va faire une sortie musclée. » Leur pilote ne broncha pas et articula un laconique « Reçu. »
Dehors, les sirènes et les gyrophares des renforts toujours plus nombreux des Securitas approchaient à toute allure, tandis que l'ork et le nain déboulaient à toute vitesse dans les couloirs, évitant les tirs qui venaient ponctuer leur course effrenée dans la villa. Finalement, ils arrivèrent au bout de leur course, face au mur sud de la maison. Tarak plongea la main à l'intérieur de sa veste. « 300 grammes de plastic. Ça devrait faire l'affaire. Tony, écarte toi du mur ! », cria l'ork, tandis qu'il appliquait deux blocs de plastic sur le mur blanc. « T'as une compensation auditive ? », demanda-t-il au nain. Celui secoua la tête de gauche à droite pour signifier que non. L'ork prit un air peiné, et l'attrapa par l'épaule alors qu'il se mettaient à l'abri derrière une table.
Le hacker mit ses mains sur ses oreilles, alors que Tarak déclenchait la détonation. Les débris voltigeaient autour d'eux, alors que le nain fut renversé par le souffle. Le Semtex modifié de Tarak avait arraché tout un pan de mur et pulvérisé la plupart des meubles de la pièce. Alors que l'ork le prenait par l'épaule pour le relever, le nain réalisa qu'il n'entendait plus qu'un sifflement aigu. Autour de lui, aucun son ne semblait lui parvenir, comme s'il se trouvait dans du coton. Tarak le traîna brutalement à l'arrière du van de Tony, qui démarra en trombe. Tandis que l'ork fermait les portes arrières, le hacker tentait d'entendre sa propre voix dans son oreillette. Finalement, Tarak se pencha vers lui et lui transmis un message RA. « Désolé, je pense que le blast t'as ruiné les oreilles, mes explosifs sont pas fait pour être utilisés d'aussi prêts. J'ai des oreilles cyber depuis que je me suis crevé les tympans comme ça, mais t'inquiète, dès qu'on s'en sort, je t'emmène voir un doc. Tony va nous sortir de là. »
Par les fenêtres teintées du van, le chauffeur distinguait les faisceaux lumineux des projecteurs montés sur les véhicules des Securitas. Alors que le véhicule fonçait sur les petites routes de campagne, bien au-delà du Gridlink, il déclencha le largage de ce qu'il appelait ses “petites surprises”. D'une pression sur un bouton, son LEBD-1 largua une poignée de grenades fumigènes infrarouges avant de dévier vers les véhicules de leurs poursuivants pour leur lâches quelques flashbangs devant les pare-chocs. Ça avait visiblement suffit, puisque les véhicules derrière firent de violentes embardées avant de disparaître dans la fumée. Le drone vint se loger à l'intérieur du van après que l'ork lui ait ouvert la porte. « Tarak… », commença le pilote, « dis-moi que Rosetta est avec Bru. »
« On n'a rien pu faire… », dit l'ork, en secouant la peine d'un air triste. « Bru nous a niqué, ce fils de pute a descendu Rosetta. Il travaille pour la cible, depuis le début, putain ! C'est comme ça qu'il a eu les accès aussi facilement. Femme de ménage, mon cul. Il va sûrement essayer de retrouver le Johnson demain, j'imagine qu'ils comptent lui mettre le grappin dessus. »
Matriciellement, il envoya un message au hacker : « Tu peux vérifier que Bru a pas laissé de mouchard ? ». Le nain acquiesça, avant de scanner l'intérieur du van. Les deux orks restèrent en silence à le regarder faire. « Je pense qu'on est hors de danger », finit par lâcher Tony après plus d'un quart d'heure. « Je vois plus personne derrière nous depuis quinze kilomètres et on est à deux pas de Karlsfel maintenant. Je vais nous trouver un coin acceptable », ajouta-t-il, alors qu'il s'engageait sur le Gridlink munichois. Ils passèrent la nuit dans un squat des Barren. La présence de Tarak et de son Cobra en bandoulière avait suffit pour effrayer le petit groupe de métahumains fumeurs de beuh qui occupait le premier étage de l'immeuble dans lequel ils s'étaient donc retrouvés seuls. Au matin, Tony leur fit ses adieux. « J'ai dit que ce serait mon dernier run dans cette putain de ville et je le maintiens. Tant pis pour la paye, et désolé les gars, mais j'ai aucune envie de me plonger jusqu'aux épaules dans ce nid à emmerdes », avait-il expliqué. Les deux autres runners ne pouvaient qu'approuver son raisonnement, et ils le regardèrent quitter le squat dans son van gris foncé. Durant la nuit, Tarak s'était arrangé avec son doc' pour que le hacker puisse se trouver une nouvelle paire d'oreilles. Dans son malheur, il avait de la chance puisque le contact du soldat avait justement rafraîchi son stock d'auriculoware, et il proposait de nouvelles prothèses Shiawase pour oreilles internes très discrètes, cependant très efficaces et dotées d'une bonne amplification. Ironiquement, souligna Tarak, elles n'avaient pas d'amortisseur sonore, mais le hacker désirait surtout entendre à nouveau. Le sifflement était toujours présent, même si moins sonore, et le doc' lui assura qu'il finirait par disparaître dans quelques jours.
Alors que le nain passait entre les mains du praticien, Tarak était parti tenté d'intercepter Bru avant sa rencontre potentielle avec le Johnson. Ils avaient prévenu ce dernier du retournement du runner, mais le commanditaire avait raccroché dès qu'il avait appris la nouvelle et n'avait pas donné de signes de vie depuis. Au réveil du tech, Tarak était assis dans la chambre, une pommette en sang et le nez cassé. Lorsque l'ork ouvrit la bouche, le nain eut la bonne surprise de l'entendre clair comme de l'eau de roche. « C'est bon, tes implants fonctionnent ? Cool. La bonne nouvelle, c'est que j'ai trouvé Bru. Il s'était planqué dans un squat en face du lieu de rendez-vous avec le Johnson. Je lui ai cassé la gueule jusqu'à ce qu'il accepte d'expliquer ce qu'il avait prévu. On est allez au rendez-vous, mais comme on pouvait s'y attendre, personne s'est pointé. Finalement, alors qu'on remontait au squat, lui et moi, on est tombé sur un gigantesque troll. C'est à lui que je dois ça », dit-il en montrant du doigt ses blessures. « Il m'a bien séché l'enculé. Quand j'ai repris mes esprits, Bru avait le cou brisé et son sac avait disparu. »
Le hacker secoua la tête. « Pas de paye, une belle facture de doc'. Y a des jours où les Ombres, ça me fatigue », lâcha-t-il, dépité. « Ouais, mais c'est pas comme si on pouvait faire la fine bouche, hein ? », maugréa Tarak. « Bon écoute, » poursuivit-il, « je sais pas pour toi, mais moi je vais faire profil bas. Je pense qu'il vaut mieux qu'on se revoit pas. J'ai une proposition de boulot du côté de Berlin et je vais m'empresser de la prendre. J'ai cru comprendre que mon fixer allait essayer d'arrondir les angles avec le Johnson, mais c'est clair qu'on peut s'asseoir sur les nuyens de toute façon. Et quand je dis s'asseoir, c'est une façon polie de dire qu'on peut se les foutre au cul », finit-il, l'air amer.
« C'est sûr. Du coup, salut ? », demanda le nain.
Tarak prit appui sur ses jambes puis se leva. « Ouaip. Salut », grogna l'ork.
« Tarak… merci », émis le hacker. « Y a pas de quoi. Si tu veux un conseil, fais un peu de sport et apprends à te servir correctement de ça », ajouta l'ork en pointant le Predator du menton. « Aucune utilité d'avoir un gros flingue si c'est pour l'agiter sans s'en servir. » Le hacker resta assis quelques temps sans rien dire, contemplant le flingue d'un air vide. « Ouais », finit-il par articuler à voix basse.
L'ork hocha la tête, salua le doc d'un signe de la main puis, se tournant vers le nain conclut : « T'es sur la bonne voie. On se verra peut-être dans une autre vie, Splenters. »
« Et c'est depuis ce temps que je porte ces implants », poursuivit Splenters, en posant son doigt sur son oreille gauche. « J'ai pas à me plaindre cela dit, ils sont plutôt utiles, mais c'est clair qu'à l'époque, je l'avais mauvaise. C'était mon deuxième run où j'intervenais physiquement sur les lieux, et avec le recul je me dis qu'on a eu un sacré pot d'en réchapper. » Il prit une longue gorgée de bière, alors que ses compagnons l'écoutaient terminer son histoire dans le jardin des O'Dunn. Le nain n'avait pas souvenir d'avoir déjà parlé aussi longtemps d'une seule traite en présence des runners, et sa bouche s'était asséchée après un si long discours. Finalement, En'dol mit les pieds dans le plat. « Et le Johnson ? Il en a dit quoi finalement ? » Splenters prit une grande inspiration. « Le fixer de Tarak et le mien lui ont expliqué la situation. Apparemment, c'est lui qui avait envoyé la grosse brute qui a récupéré le coffre. On n'a jamais été payé pour le job, mais il était prêt à retravailler avec nous. Evidemment, on s'en est tous abstenu. » L'ork hocha la tête en signe d'approbation. « Et les autres, » s'enquit Eidolon, « tu les as revu après ça ? ». « Rosetta et Bru étant morts, il restait que Tony et Tarak. J'ai revu Tony une fois, il y a deux ans à Munich. Apparemment, il était parti à Washington mais quelque chose a dû foirer là-bas, vu qu'il est revenu en Allemagne alors qu'il était recherché aux UCAS. On a refait un petit run ensemble et il paraîtrait qu'il s'est barré France juste après avoir encaissé ses nuyens. Tarak, je l'ai jamais revu, mais d'après Ray on l'aurait retrouvé dans sa bagnole à Berlin, criblé de balles », termina Splenters, le visage sombre. Derrière eux, le soleil arrivait en fin de course et le crépuscule pointait le bout de son nez.
Deux jours plus tard, le hacker se réveillait comateux au Hole in the Wall, après une soirée fort arrosée, dont il se souvenait essentiellement avoir réglé ses CI en mode paranoïaque et débattu longuement avec un jeune humain de l'IRA sur la pertinence d'utiliser un convertisseur de donneés sur un nexus NeoNET Super10™ afin d'y asservir une tourelle de défense Arès AutoProtect™ de première génération. Après s'être repassé les enregistrements de son commlink, il s'empressa de dissimuler des tridéos d'Eidolon se déhanchant sur le comptoir du pub. Malgré la migraine qui lui vrillait le cerveau, il trouva le moyen de sourire quand il vit ses compagnons de runs aussi vaseux que lui tenter péniblement de retrouver une consistance. Sven, Eidolon, En'dol et Oggodt, ils étaient tous en vie, toujours habités par la même flamme qu'ils portaient en eux depuis le début, et la fierté d'appartenir à un tel groupe de runners venait lui mettre du baume au coeur. Munich pouvait trembler, ses enfants terribles étaient bientôt de retour au bercail, plus déterminés que jamais.