Oggodt marchait au hasard, écartant les passants outrés sans même sembler s'en apercevoir. Une cigarette éteinte à la bouche, il ressassait le message sibyllin de ce mystérieux allié qui l'avait doté de cette nouvelle peau grisâtre, qui, il s'en rendait compte attirait des regards curieux. La sensation d'inconfort que procurait cette nouvelle peau épaisse perdurait, mais le choc était passé. De la poche de son gilet de cuir épais, il sortit un briquet et alluma sa clope. La lueur rougeâtre éclaira brièvement ses yeux profonds, la seule partie de son visage que l'on pouvait qualifier d'expressive. Il acheta mécaniquement, par habitude, un paquet de cigarettes à l'arabe du coin, avant de se rendre compte qu'il en avait déjà un, à peine entamé, dans sa poche. Il grommela quelques mots indistincts.
Quand son commlink vibra, il sursauta. C'était cette elfe, Eidolon : “Rendez-vous au Shatterwein demain soir 21h. Il faut qu'on cause. J'ai peut être un truc intéressant.” Un truc intéressant. Voilà qui était limpide. Il hésita. Si c'était encore un truc à se faire trouer le bide par des bouts de métal brûlant, merci, mais non merci. Mais son regard se posa sur le reflet pathétique que lui rendait, sans concession, la vitrine d'un magasin de mode aux prix prohibitifs. Un troll pauvre, aux vêtements miteux. Il lui fallait faire peau neuve. Le jeu de mot le fit sourire intérieurement. Il lui fallait quitter cet appart pourri. Il lui fallait faire interner sa mère, la faire soigner, s'en débarrasser. “Putain”, pensa-t-il. “Putain, putain, putain.”
Un troll solitaire dans la nuit munichoise, silencieux dans la brume. Par intermittences, des volutes de fumée s'échappaient de ses lèvres. Dépassant de loin la foule des rues animées, il était facilement repérable. Pourtant, personne ne faisait attention à lui.