Il ne regretterait rien de l'Irlande. Ni sa bière, ni son climat, ni les elfes et leurs intrigues, ni cette magie que, sans la comprendre ni la maîtriser, il sentait sourdre autour de lui.
Voici qu'Eidolon — ou Noreen O'Dunn, de son vrai nom — était enfin en sécurité. Elle était encore vaseuse, et fâchée contre lui, semblait-il. Le gars, le rigger qui contrôlait la sécurité du complexe de la SOX qu'ils avaient tenté d'infiltrer, c'était Hiquse, et elle l'avait tué. Sans savoir que c'était lui, apparemment.
Si Oggodt n'avait jamais vu Hiquse de ses yeux, il fut un temps où ce dernier les épaulait de ses drones, puis un beau jour, il avait disparu. Apparemment, après, il avait rejoint les Swamp Rats. Oggodt avait demandé comment ça s'était passé, le meurtre, et Eidolon s'est vexée, apparemment blessée.
Bon, à y réfléchir un peu plus calmement, il avait peut-être été un peu abrupt — il n'était pas connu pour faire toujours preuve de finesse et de diplomatie. Et pourtant, songea Oggodt dans un sursaut de fierté, n'avait-il pas le droit de savoir, ne lui devait-elle pas au moins ça ? Après tout, ils s'étaient cassé le cul à la suivre jusqu'au Tir, à se mêler à une histoire qui ne le concernait ni d'Ève ni d'Adam pour régler ses problèmes de princesse à sa place, à faire des allers et retour nocturnes dans la campagne irlandaise, parcourant des milliers de kilomètres, tout ça pour assister à un beau feu d'artifice, à faillir se faire bouffer l'âme par un esprit craignos, et puis quoi ? Ça ? Ce silence ? Cette demi-révélation ?
Personne ne comprenait ce qu'il ressentait — mis à part peut-être Sven. Ce n'était pas faute d'avoir essayé d'expliquer qu'il en avait assez, et que cette vénération de l'ombre et du secret n'était pas à leur avantage. Il reconnaissait qu'avoir ses petits secrets pouvait être d'une certaine utilité, mais ne venaient-ils pas d'avoir la preuve par A + B que les secrets, parfois, gagnent aussi à être partagés ? Si Eidolon, plutôt que de garder secrets son arbre généalogique et la raison de sa fuite du Tir, leur avait dévoilé au moins une partie de l'histoire ? Peut-être que plutôt que de se faire enlever sans que l'on sache réellement par qui, pourquoi, et où, on aurait pu réagir de façon plus adaptée ? Peut-être que plutôt que de se faire attaquer tous les quatre matins par des tueurs du Tir — et se faire cramer la gueule par la même occasion — on aurait pu anticiper, faire un peu plus gaffe, je ne sais pas, moi, s'attaquer au problème frontalement plutôt que de vivre dans la terreur d'en subir un jour les conséquences ?
Splenters, avec sa vénération du secret et du professionnalisme, ne comprenait pas qu'il aspire à plus de transparence et solidarité au sein du groupe, et End'Ol, en plus de la ramener sur sa bourde avec la Guarda, ne faisait qu'approuver son sermon. Quant à Sven, il ne semblait pas en avoir pas grand chose à foutre — comme d'à peu près tout si ce n'est sa beuh et sa syntrash. L'Ankou, lui, était resté à peu près silencieux — un peu trop à l'écoute, songea Oggodt qui, rétrospectivement, se trouva un peu imprudent de s'être livré ainsi devant quelqu'un qu'il ne connaissait que depuis quelques jours.
Alors oui, il y avait le rhuténium, que l'on espérait vaguement trouver en même temps qu'Eidolon. Mais depuis le début, personne ne semblait vraiment y croire. Était-ce vraiment si pro d'aller sauver Eidolon des griffes du Tir ? N'eût-ce pas été plus pro de l'abandonner ? Chacun pour soi, et Dieu, s'Il existe, pour tous ? N'était-ce pas le credo de leur époque ?
Si Splenters persistait à affirmer que le groupe n'était constitué que de collègues insensibles, il avait été forcé d'admettre que, sans doute, ils étaient plus que ça. Ils s'étaient sauvés leurs miches respectives à plus de reprises que ce qu'Oggodt savait compter. Même s'il y avait des hauts et des bas, même si l'intensité de la relation variait de l'un à l'autre, le troll persistait, lui, à vouloir qualifier ces gens d'amis. Et pour des amis, on n'a pas de secret.
Pas trop.