Best of O'Dunn Summer Mix 2072
“Par ici, Monsieur.”
Le majordome s'effaça, dévoilant une vaste étude boisée et lumineuse où régnait un lourd silence empreint de chaleur et de calme. Machinalement, je frottai mes pieds sur un paillasson imaginaire avant de m'avancer précautionneusement, laissant le plancher gémir mollement sous mon poids. La pièce aurait pu passer pour sobre, mais les fines et onéreuses boiseries d'acajou trahissaient les goûts raffinés et exigeants de l'ancien occupant des lieux.
Nonobstant le domestique qui s'éclipsait avec force de courbettes, j'entrepris d'inspecter méthodiquement l'audiothèque de feu William O'Dunn, qui se constituait principalement d'antiques microsillons aux jaquettes pâlies par les décennies, mais étonnamment exemptes de poussière : quelqu'un maintenait manifestement la collection immaculée, comme pour se raccrocher au vain espoir que son propriétaire reviendrait un jour en reprendre possession. De qui pouvait-il s'agir ? Un parent prolongeant son deuil ? Un valet reconnaissant ?
D'un mouvement de tête, je balayais de mon esprit ces questions futiles pour me concentrer sur l'assortiment s'étalant devant moi. Fort vaste, il allait des classiques du XIXe tels que Stanford, Osborne et Field aux indémodables du début du XXIe avec Flynn, les Corrs, et JJ72. La collection se concentrait principalement sur les artistes originaires du Tír, avec une proportion inconfortable de Cranberries et de U2, mais témoignait aussi des goûts éclectiques du discophile en s'étendant à divers styles étrangers tels que le reggae et la variété française. Je notai avec une légère déception l'absence de toute œuvre de Cordy, ce qui aurait pourtant été à même de parfaire cette liste déjà fort bien fournie.
Tout en extrayant avec précaution trois pochettes des larges tiroirs, j'ordonnais par RA à la platine analogique laser de s'éveiller. Je lui fis avaler les vinyles puis m'y connectai avec Beethoven 10 : à peine une semaine plus tôt, Horizon avait publié une mise à jour, c'était l'occasion parfaite pour en tester les nouvelles fonctionnalités.
Je m'installai dans le luxueux fauteuil trônant au centre de la pièce, puis lançai la lecture. Aussitôt, des enceintes sortirent de l'appui-tête pour venir se mettre en position de chaque côté de mon crâne. De part et d'autre, des panneaux de bois se rétractèrent, révélant une sonorisation puissante et équilibrée dont je ne doutais aucunement de la qualité. Le premier disque se mit en rotation et une mélodie lente et soyeuse, caractéristique des compositions de John Field, envahit l'espace.
Une flopée de courbes commença à se tracer dans l'interface RA de Beethoven, disséquant sans vergogne la musique du compositeur Dublinois. Peu utiles à un audiophile de mon calibre, je les réduisis prestement dans un coin de l'affichage, puis ouvris le menu de partage pour démarrer un stream Horizon SoundShare anonyme, que mon CommLink annonça aussitôt de lui même sur une dizaine de réseaux sociaux.
Ne souhaitant pas causer de panique dans la maisonnée O'Dunn, je mis en place d'une main experte une fine barrière acoustique mana le long des murs de l'étude. Pourquoi ce cher William n'avait-il donc pas fait insonoriser les lieux ? Avec du matériel pareil, il était dommage de gâcher le son avec des bruits externes malvenus.
Déjà, quelques auditeurs avaient rejoint mon SoundShare. Il était temps de commencer à mixer. Je lançai la lecture des deux autres microsillons pour y jeter une oreille rapide avant de lancer les hostilités : le premier contenait une ballade de Sardou, la musicalité du français me plaisait toujours autant; et le second du Flook pré-éveil, avant qu'ils ne deviennent mondialement connus. Ma sélection était assez variée pour permettre des combinaisons osées et harmonieuses, que je ne doutais pas de pouvoir réaliser.
Fort d'une petite dizaine de spectateurs, je lançai les morceaux en parallèle, puis montai peu à peu en puissance et en vitesse, jusqu'à atteindre un rythme de croisière confortable pour jouer. D'une pensée, j'activai mon synthlink et, sans l'ombre d'une hésitation, me jetai à corps perdu dans les sonorités déferlantes et rageuses.