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rp:csame20150417

Bien sûr il y a les bières d’Irlande

« Maman ? »

Oggodt avait parlé d'une voix douce, pour éviter de réveiller sa mère de son sommeil d'ivrogne trop brusquement. Comme cette dernière ne réagissait pas, le jeune troll, agenouillé auprès de sa mère endormie dans le canapé, tapota doucement sur son épaule, et vit se soulever la paupière lourde de sa génitrice, révélant son œil vitreux et veiné de rouge.

« Frank ? Qu'est-ce qu'il y a ? éructa-t-elle avant de bâiller et de se frotter les yeux. Je te pensais encore parti avec tes soi-disant amis gangsters à l'étranger ou Dieu sait où ?

— Je suis de retour depuis une semaine, Maman. Tu te souviens ? C'est qui qui a nettoyé l'appart à ton avis ? »

Elle tendit le bras droit pour saisir sa première bière de la journée, mais sa main ne rencontra que le vide. Son visage se tendit de colère.

« Où sont mes bières ? Frank ? Tu m'expliques où tu as mis ces putains de bières ? Jed m'en a apporté quatre paquets hier, j'en suis sure ! Et il m'en restait au moins deux.

— Il ne t'en restait qu'un Maman, répondit Oggodt en se levant. Je l'ai mis dans le frigo hier soir en rentrant. » Il se dirigea vers le frigo et saisit deux bières. Il en tendit une à sa mère, et en décapsula une lui-même. Après les bières d'Irlande, elle lui parût totalement insipide. Sa mère buvait déjà goulument. Il eut un soupir.

« Maman, il faut que je te parle.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu veux ?

— J’ai parlé à des gens. Des… des gens vont venir. »

Sa mère regarda Oggodt d’un air presque perçant, et méfiant à la fois.

« Je t’ai parlé de Saeder Krupp ?

— Je connais, ouais.

— Ouais. Je… Bref, je travaille un peu pour eux, des fois, je t’avais dit, l’autre fois.

— Possible.

— Bref, je me suis dit que peut-être qu’ils pourraient… nous aider.

— Nous aider ?

— T’aider, en fait.

— M’aider ? Martha regarda son fils d’un air menaçant. Qui te — elle tendit un index tremblant dans la direction de son fils — Qui te dit que j’ai besoin d’aide ?

— C’est… trop tard. J’ai signé les papiers. Le docteur vient demain matin.

— Le docteur ? »

Martha ne semblait plus du tout ivre à présent. Malgré le fait que son fils soit plus grand et plus costaud qu’elle, elle avait toujours eu sur son rejeton une autorité indiscutable, et elle le savait. Et il le savait aussi.

« Maman…

— Toi aussi ? sa voix était brisée.

— Maman…

— Qu’est-ce que tu as encore été faire, Frank ?

— J’ai… J’ai eu rendez-vous avec le docteur Gelsend, l’autre jour. Je lui ai parlé de toi. Et… et de l’alcool.

— Frank. »

Martha basculait entre la colère et la déception. Elle avait parfaitement conscience de ne pas avoir été une bonne mère, mais comment aurait-elle pu l’être ? Joachim avait disparu au début de sa grossesse. Et elle avait été seule. Seule pour les conséquences. Trop faible. Trop affamée. Trop assoiffée.

Bien sûr, il y eut des cris. Bien sûr, il y eut des hurlements. Des choses brisées. Le lendemain, néanmoins, un homme en blouse blanche, au sourire éclatant, se présenta au domicile. Les cheveux noirs, le visage long, les traits saillants, de petites lunettes de soleil rectangulaires qui ne faisaient que renforcer la blancheur de son sourire éclatant.

« Madame Finkerbachen, dit le docteur, votre fils, Frank, nous a contacté il y a quelques jours et nous a signalé que nous pourrions peut-être vous aider. Il se trouve que votre fils travaille pour la société qui m’emploie moi-même. »

Il marqua une pause avant d’ajouter d’un ton joyeux :

« Nous sommes en quelque sorte des collègues. »

Son sourire se fit plus éclatant encore. Il poursuivit :

« Vous n’être pas sans savoir que Saeder Krupp se préoccupe de ses employés, ainsi que de leur famille. Nous avons donc proposé à Frank de prendre soin de vous. Vous serez bien logée, et nous avons un centre de cure pour les personnes atteinte de la même… affliction que vous. »

Oggodt savait que le discours de Gelsend était plus destiné à lui qu’à sa mère, car cette dernière, après l’altercation de la veille, avait vidé le reste de bières, et une fois cela fait, avait hurlé sur Frank jusqu’à ce que celui-ci accepte de descendre acheter deux paquets supplémentaires au magasin du coin. Elle était à peine consciente. Cela ne découragea pas le docteur dans son discours :

« Vous serez entouré de spécialistes renommés, avec une séance quotidienne de thérapie de groupe avec d’autres personnes telles que vous. Vous aurez une chambre individuelle, trois repas par jour, bref : tout le confort que vous voulez. »

Deux autres blouses accompagnaient le docteur Gelsend. Il leur fallut néanmoins l’aide d’Oggodt pour descendre Martha dans l’escalier. La dernière fois que Martha s’était aventurée à l’extérieur de l’appartement devait remonter à bien longtemps, Oggodt s’en souvenait à peine. Les deux assistants étaient en sueur, écrasés par la masse de la trollesse obèse.

Un véhicule flambant neuf attendait Martha. Des badauds à l’air patibulaire rodaient déjà près du véhicule, ne perdant pas une miette de la scène, mais Oggodt s’y attendait. Il installa sa mère à l’arrière du véhicule. Elle s’y opposa faiblement, sans beaucoup de conviction.

« Tu es aussi lâche que ton père, chuchota-t-elle néanmoins au moment où Oggodt se redressait après l’avoir installée. »

Comme Oggodt ne répondait pas, elle hurla à s’en arracher les cordes vocales :

« Tu m’entends, Frank ? Fils de bâtard ! Tu m’abandonnes aussi ? Comme ton salaud de père m’a abandonnée, avant toi ? J’aurais dû me débarrasser de toi quand j’ai su que j’étais enceinte ! Tu sais qu’il n’était pas au courant que j’étais enceinte quand il a disparu ? Lui au moins, il avait cette excuse… Mais toi… »

Elle attrapa son fils par le col d’une poigne étonnamment vigoureuse. Tous les passants s’étaient arrêtés pour profiter de la scène.

« Le soir même, éructa-t-elle, furieuse. Le soir même où j’allais lui annoncer que j’étais enceinte. Ce soir-là, il m’a abandonnée. Et depuis ce jour-là, j’ai été toute seule, et j’ai dû t’élever toute seule. Toute seule ».

Frank se débarrassa de l’étreinte de sa mère. Il se retourna vers le docteur Geldsend, dont le sourire s’était un peu effacé.

« Emmenez-là, dit le troll, avant d’ajouter d’un air menaçant : Et prenez soin d’elle. »

Gelsend tendit la main vers Oggodt, qui hésita un instant avant de la serrer.

« Ne vous inquiétez pas, monsieur Finkerbachen, dit Gelsend, affublé de son sourire habituel. Saeder Krupp prend soin des siens. Après tout, nous sommes une grande famille n’est-ce pas ? ».

Des portières claquèrent. Oggodt eut un serrement de cœur. Il savait qu’il venait de donner un levier de plus à Saeder Krupp. Mais il était temps. Plus que temps. Lui aussi, avait le droit de vivre.

rp/csame20150417.txt · Dernière modification : 2015/04/17 15:45 de Csame